Mieux que Dallas !

Le Texas avait la famille Ewing, maintenant ils ont en plus les McCulloughs ! Sous la plume de Philip Meyer, cette nouvelle dynastie passionnante traverse les époques tout en nous tenant en haleine d’un bout à l’autre de cette brique de près de 700 pages.

Qu’est-ce qui vous a inspiré cette saga familiale?

«Tout a commencé quand j’ai appris ce qui s’était passé dans les années 1915-1918 où beaucoup de propriétaires mexicains, établis au Texas, ont été massacrés par des Texas rangers et par des propriétaires anglo-américains. Cette histoire n’est pas très connue, et je me suis dit que j’avais envie un jour d’écrire là-dessus.»

C’est une brique. Il vous a fallu longtemps pour écrire ce livre?

«Presque cinq ans!»

Vous avez rassemblé beaucoup de documentation?

«Oui. J’ai dû lire environ 350 livres pour m’informer sur tout ce qui compose le cadre du roman.  Mais je ne les ai pas tous lus d’un coup. Pendant très longtemps, j’ai écrit jusqu’à ce que je rencontre une difficulté particulière ou que je me rends compte que j’étais sur un terrain un peu instable. A ce moment-là, j’allais lire un livre sur le sujet concerné.»

Et vos connaissances sur les Comanches, les scalpes?

«Cela a été assez simple de se documenter sur les comanches, leur culture parce qu’il y a au moins une vingtaine de livres qui sont des classiques sur le sujet, pour la plupart écrits entre les années 1909 et 1930, principalement par des auteurs  blancs, mais qui étaient là à une époque où ils pouvaient encore recueillir des souvenirs de cette période. Ce qui a été plus délicat, cela a été de réussir à avoir des informateurs contemporains pour leur soumettre tout ce qui les concernait dans le livre afin d’être sûr que je n’avais pas fait d’erreur. Mais à un moment donné j’ai rencontré les bonnes personnes. Certains sont devenus des amis. Et cela m’a permis d’être sûr de ce que j’avais fait.»

Comment sont nés vos personnages?

«Le premier personnage qui m’est venu à l’esprit, c’est celui de Jeannie. J’avais écrit dans mon premier roman, ‘Un arrière-goût de rouille’, une histoire à propos de la classe laborieuse de gens un peu exclus du rêve américain comme si cela marquait un peu la fin de la classe moyenne. Et je savais que mon deuxième livre allait s’intéresser à l’autre extrémité du spectre, à savoir les gens riches, ceux qui ont tout. J’ai commencé à écrire un personne qui était un homme et appartenait à  l’Amérique qui a réussi. Mais cela ne marchait pas vraiment. Parce que j’avais envie que ce personnage ait quand même des difficultés. Il fallait que ce soit une femme parce que c’est moins évident pour les femmes. Elles doivent plus souvent se battre et sacrifier pas mal de chose pour y parvenir. Pour le second personnage, celui de Peter, il est arrivé assez facilement parce que dans un roman comme celui-ci, j’avais besoin d’un personnage qui se rebelle contre l’ordre établi, la mythologie familiale,… Cela ne pouvait être qu’un fils qui s’oppose à son père qu’il remet en cause. Le fils qui donne son titre au roman. Et tout curieux que cela puisse paraître, Eli est le dernier personnage qui m’est venu à l’esprit et il est arrivé à mi-parcours. Je me suis rendu compte que ce personnage dont Peter et Jeannie parlait régulièrement, cela ne fonctionnait pas s’il restait seulement cité par les autres.»

Les formes de narrations varient en fonction des personnages. Comment les avez-vous choisies?

«Au départ, tout le monde était écrit à la troisième personne. Encore une fois, je me suis rendu compte que cela ne fonctionnait pas si je voulais donner à chacun une personnalité et installer une temporalité différente dans le roman il fallait que je change. Il était évident pour moi qu’Eli devait avoir la première personne, la voix fondatrice. Et que Peter, parce qu’il y a une part de mystère liée aux choix qu’il fait, à son destin, et qu’il y a la particularité de la période à laquelle il écrit, qu’on avait besoin que son intervention soit comme un document historique qui reflèterait une mentalité et une époque. C’est comme cela que le journal intime s’est imposé. Et finalement, Jeannie est restée dans ce qui était sa forme originale, la troisième personne. Cela permettait d’avoir trois voix distinctes.»

Vous connaissiez toute l’histoire en commençant à écrire?

«Non. Je savais que le livre allait s’achever sur la destruction. Ce qui m’intéressait c’était d’aller de la naissance d’une famille à son déclin.»

Comment passe-t-on de trader à Wall Street à romancier ?

«C’est compliqué parce que l’on ne devient pas écrivain, on a cela en soir et on décide de s’investir dans quelque chose qui sera forcément un peu compliqué. Ce qui m’est arrivé, assez prosaïquement, c’est que j’ai commencé à écrire bien avant de faire un passage à la banque. Mais à un moment donné, j’étais chez mes parents, je ne gagnais pas un rond, il fallait que je trouve un boulot…»

Christelle 

LE_FILS_jaqu_Mise en page 1En quelques lignes

Tout en nous contant la saga d’une famille texane, les McCullough, Philipp Meyer, finaliste du prestigieux Prix Pulitzer 2014,  dresse une vaste fresque de l’Amérique des années 1850 à nos jours. Au cœur du récit, trois personnages, dont les voix s’alternent. Eli, le patriarche surnommé  «le Colonel». Enlevé à l’âge de onze ans par les Comanches, il passera avec eux trois années avant de revenir à la civilisation, s’engager dans la guerre de Sécession et devenir un grand propriétaire. Vient ensuite «le fils», Peter, écrasé par l’aura de son père, qui profitera de la révolution mexicaine pour faire un choix qui bouleversera son destin et celui des siens. Et puis, il y a Jeannie, l’ambitieuse et sans scrupules petite-fille de Peter, propulsée à la tête d’une des plus grosses fortunes du pays. Traduit en plus de vingt langues, ce deuxième roman de l’auteur, toute brique q’uil soit, se laisse dévorer en quelques jours à peine. Ce n’est évidemment pas pour rien que le NY Times a classé l’auteur parmi les 20 meilleurs écrivains de moins de 40 ans !

«Le fils», de Philipp Meyer, éditions Albin Michel, 688 pages, 23,50 €

Cote : 4/5

L’obsession de David Foenkinos

charlotteCharlotte, comme Charlotte Salomon. Le nom de cette artiste peintre allemande ne vous dit rien? Cela risque de bientôt changer suite à ce bel hommage que lui rend ici David Foenkinos, dont elle est devenue « l’obsession ».

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à Charlotte Salomon?

«Par le plus grand des hasards. Il y a huit ans, je déjeunais avec une amie travaillant dans un musée. Elle m’a dit que je devrais aller voir l’expo. Je ne savais pas du tout qui était Charlotte Salomon. Je me suis retrouvé nez à nez avec cette œuvre qui m’a complètement bouleversé. Depuis, je n’ai cessé de penser à elle. Elle m’a obsédé pendant de nombreuses années.»

Quelle est la part de romancé que vous y avez mis puisqu’il est écrit roman sur la couverture?

«Comme il y avait assez peu de documents, ma source principale, c’est son œuvre, qui est une succession de tableaux racontant son histoire. Tous les faits un peu biographiques sont réels. Après, pour toute l’histoire avec Alfred par exemple, je suis persuadé qu’il a été l’homme de sa vie. La part du roman, c’est ce que je raconte de leur intimité… A force d’avoir vu ses tableaux, d’être allé sur les lieux de sa vie, je pense être assez proche de ce qu’elle a vécu. Mais évidemment, c’est un roman.»

Vous avez donc marché sur les pas de Charlotte Salomon. Vous avez rencontré des gens qui l’ont connue. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué?

«Ce qui m’a le plus marque, je pense que c’est quand même la rencontrer avec la fille du Dr Moridis parce que dans l’histoire incroyable de Charlotte Salomon, elle peint dans une sorte d’apnée créatrice, pendant deux ans. Dans l’urgence aussi parce que dans les dernières gouaches on sent une précipitation comme si elle sent le danger. Elle craint peut-être sa fin imminente. Et donc elle va donner son œuvre à un médecin en lui disant que c’est toute sa vie. C’est vraiment une phrase d’une grande beauté. La fille du docteur m’a montré l’endroit où Charlotte est venue exactement. Cela pour moi, c’était une grande émotion. Aller aussi sur les lieux de son école. Il y a une photo d’elle par exemple dans la cour de son école, et aller sur les lieux de cette photo, cela a été bouleversant aussi.»

C’est la première fois que vous apparaissez dans l’un de vos romans.

«Oui. Dans tous les romans, il y a forcément des choses personnelles. Mais même dans ‘Les souvenirs’, qui pourrait avoir l’air autobiographique, on était dans le roman. Là, pour la première fois, je raconte ce qui me touche, je suis la première personne. C’est comme si j’essayais de prendre le lecteur par la main, de faire en sorte qu’il vienne avec moi pour découvrir Charlotte. Cela m’a permis de raconter aussi l’émotion qu’on a à découvrir ses tableaux.J’ai envie qu’on la connaisse. C’est comme si vous aviez une passion secrète et que vous pouviez enfin la partager. C’est comme si c’était ma maîtresse, sauf que je me promène maintenant au grand jour avec elle.»

« C’est comme si c’était ma maîtresse sauf que je me promène maintenant au grand jour avec elle.»

La forme est aussi particulière, puisque à chaque phrase, vous allez à la ligne.

«Cela s’est imposé comme cela. J’avais besoin de respirer entre chaque phrase. J’y ai mis tellement d’énergie. J’ai mis beaucoup de moi dans ce livre. Je ne savais pas comment le lecteur allait percevoir cette forme. C’est assez poétique. Cela donne une légèreté, une inspiration, un rythme. J’ai travaillé beaucoup sur la forme. Paradoxalement, c’est une contrainte qui m’a libéré.»

Dans ce livre, vous vous interrogez aussi sur ce qui fait un artiste. Et vous, avez-vous un point de bascule proche de la folie?

«C’est mignon comme question! C’est vrai que j’ai aussi ma réflexion sur l’histoire de la création. Je vis dans un monde bien plus douillet. Mais il y a des moments où l’on est quand même dans la nécessité. Il y a deux types d’œuvres. Des œuvres plus proches de la production artistiques. Pourquoi pas? Il y a des choses formidables qui sont faites liées au travail. Et d’autres qui sont de l’ordre de la nécessité, de la survie. Charlotte est allée au bout de l’idée de la création salvatrice.»

Charlotte est déjà évoquée dans vos précédents romans, vous dites?

«Oui, tout à fait. Elle est présente dans ‘Les souvenirs’. Je parle de Charlotte Salomon. Dans ‘Qui se souvient de David Foenkinos’ il y a un personnage qui est marqué par le suicide. J’ai annoncée plein de fois que j’allais écrire un livre sur Charlotte Salomon. Je l’ai annoncé plein de fois. Je l’ai commencé plein de fois. Je l’ai abandonné. Je suis très heureux et soulagé maintenant! Un peu surpris aussi.»

Ce livre change de vos précédents. C’est un tournant dans votre œuvre?

«Je pense que c’est un tournant majeur dans ma vie aussi. Parce que je n’ai aucune idée comment seront mes prochains livres. J’écris un livre par an. Dès que j’en finis un, j’ai tout de suite une idée pour un suivant. Pour la première fois je n’ai pas d’envie, pas d’idée. Je reste vraiment avec Charlotte. Je n’ai qu’une envie, c’est que ces prochains mois soient dédiés à tout faire pour que, au-delà de mon livre, on la découvre.»

En janvier sortira le film ‘Les souvenirs’. Ce n’est pas vous cette fois qui avez réalisé l’adaptation. Cela s’est passé comment?

«C’est surtout encore avec une Belge dans le rôle principal! Après François Damiens dans ‘La délicatesse’, c’est Annie Cordy. Elle y est fabuleuse. Avec mon frère, on était d’accord sur l’idée qu’on avait envie de travailler sur un autre film, mais on ne voulait pas que ce soit lié à nouveau à un de mes romans. J’avais vu le film de Jean-Paul Rouve, et j’avais très envie que ce soit lui. On a travaillé ensemble. Le film a été montré à Angoulême. Cela a été incroyable, il y a eu un standing ovation. La prochaine projection, cela devrait être au Festival de Namur. »

Christelle

En quelques lignes

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C’est sans doute l’un des romans les plus émouvants de cette rentrée. David Foenkinos y conte le destin tragique de Charlotte Salomon, une artiste peintre de 26 ans, tuée à Auschwitz alors qu’elle était enceinte. Petite, Charlotte grandit à Berlin, sans sa mère puisque celle-ci s’est suicidée. Une sorte de malédiction familiale… Elle étudie les beaux-arts. Mais sous la menace nazie, elle est obligée de tout quitter. Dont son premier amour. Elle se réfugie chez ses grands-parents, dans le sud de la France. C’est là qu’elle peindra l’œuvre de sa vie, «Leben? oder theater?», un mélange de peintures à la gouache, musique et poèmes. Se sachant en danger, elle confie ses dessins à son médecin en lui disant: «C’est toute ma vie.» Mais dans ce roman apparaît aussi l’auteur lui-même qui nous confie son «obsession» pour l’artiste dont il a emboîté le pas. De quoi à tous les coups donner envie de découvrir cette grande artiste méconnue.

«Charlotte», de David Foenkinos, éditions Gallimard, 224 pages, 18,50 €

Cote : 4/5

Incolore mais pas insipide

murakamiIncolore, le nouvel héros d’Haruki Murakami? Cela ne l’empêchera pas en tout cas de marquer les lecteurs! Pour son retour au réalisme après le succès planétaire de sa trilogie aux créatures étranges «1Q84», le plus célèbre des auteurs japonais nous conte l’histoire de Tsukuru Tazaki, un ingénieur trentenaire passionné par les gares qui se sent transparent, incolore… A l’origine de son trouble, une amitié brisée. Adolescent, Tsukuru faisait en effet partie d’un cercle d’amis inséparables aux prénoms colorés. Sauf le sien. Mais un beau jour, les amis de Tsukuru décident de ne plus jamais le voir. Sans aucune explication. Pendant seize ans, ce rejet va hanter Tsukuru. Jusqu’au jour où Sara entre dans sa vie. Et le pousse à leur demander pourquoi. Alors Tsukuru entame son drôle de pèlerinage, qui est aussi une référence au «Mal du pays», de Franz Liszt. Les navetteurs apprécieront, eux, le passage (page 216) sur les objets perdus découverts dans les gares japonaises. Incontestablement l’un des auteurs étrangers à ne pas manquer cette rentrée !

 

Christelle

«L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage», de Haruki Marakami, éditions Belfond, 384 pages, 23

Cote: 4/5

Thomas Gunzig se met à table

© DR
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Sans les arts martiaux, le dernier livre de Thomas Gunzig n’aurait sans doute pu voir le jour. L’écrivain belge, ceinture marron de karaté, a en effet affronté son ancien éditeur Luc Pire, ceinture rouge de tae kwondo, pour récupérer les droits de «Carbonaterstoemp» lors de la Foire du livre 2008. Pour ceux qui n’y aurait pas goûté lors de sa précédente édition, le Carbonawaterstoemp est un plat relevé, ne manquant pas de piment, que l’auteur nous sert pour la rentrée accompagné d’autres de ses spécialités, des petites histoires inédites données sur scène ou parues en revues. Alors, bon appétit!

Votre nouvelle ‘L’héroïsme au temps de la grippe aviaire’ était présentée cet été au Festival d’Avignon sous le titre «Spiderman». Et vous, quel héros appelleriez-vous à l’aide?

«Bonne question! C’est une colle. Parce que j’espère toujours être moi-même mon superhéros! Ne pas avoir besoin de quelqu’un d’extérieur! Et vu que je cultive depuis longtemps toutes sortes de superpouvoirs…»

Ah bon! Et quels sont-ils?

«Cela, c’est un secret! Je ne les révèle que quand j’enfile mon costume le soir!»

Quelles sont les cinq choses que vous aimez faire?

«J’aime bien ne rien faire du tout. J’aime bien manger des bonnes choses. J’aime bien regarder des films. J’aime bien faire un peu de sport. Et j’aime bien terminer un gros travail, genre un livre ou un scénario.»

Et les cinq choses que vous n’aimez pas faire?

«Je n’aime pas commencer un gros travail. Fondamentalement, je n’aime pas travailler. J’aime de moins en moins devoir sortir de chez moi pour des choses ou d’autres. Cela fait un peu mec psychotique, cela, non? (rires) Je n’aime pas quand je travaille sur un texte ou dans un scénario avoir l’impression d’être dans une impasse, ne pas trouver de solution. Et enfin, je n’aime pas non plus quand j’ai l’impression que le travail que j’ai fait, pour le théâtre ou autre, m’échappe et qu’il est interprété ou repris d’une manière qui me déçoit. À part cela, qu’est-ce que je n’aime pas faire? (Il réfléchit, NDLR) En fait, il n’y a pas grand chose que je n’aime pas faire!»

Le héros de cette nouvelle est fan d’arts martiaux. Un peu comme vous qui avez défié Luc Pire au karaté pour récupérer les droits de «Carbowaterstoemp»…

«Pour une fois que le karaté me sert à quelque chose à part me maintenir en forme! Heureusement, j’ai pu récupérer les droits et cela à donc pu sortir Au Diable Vauvert, sinon ce bouquin n’aurait pas existé.»

Mais il n’y pas que «Carbowaterstoemp» dans votre dernier recueil.

«J’avais envie de rassembler pas mal de nouvelles parues à gauche à droite, des textes que j’avais écrits pour la radio, pour le théâtre… Toutes sortes de choses qui m’avaient demandé énormément de travail ces dernières années. J’avais l’impression que tous ces textes étaient un peu perdus dans la stratosphère de différentes choses, que j’étais le seul à les connaître. Qu’ils avaient été diffusés, mais n’étaient pas à un endroit. Et moi, j’ai un peu la psychose du disque dur. J’aime bien quand tout est rassemblé au même endroit et bien rangé. Ce bouquin, c’est un peu cela! Un bouquin disque dur.»

Vous écrivez aussi dans ce livre qu’avoir réussi, c’est avoir une longue page sur Wikipédia. C’est votre cas. Mais de quoi êtes-vous le plus fier?

«D’avoir battu Luc Pire!»

Quel est votre plat préféré?

«C’est quelque chose qui change. Par exemple, on revient d’Italie où l’on a passé des vacances. Je dois bien dire que les petits raviolis aux truffes… Super-bons. Depuis cet été, je me suis mis aussi à cuisiner des lentilles. C’est bon aussi, avec des lardons, des petits oignons, des carottes. On fait mijoter cela avec du confit de canard… La cuisine du Sud-Ouest, j’aime beaucoup. Et j’aime bien aussi les sushis.»

Comment trouvez-vous les noms de toutes ces nouvelles?

«C’est le plus facile. Quand elles sont toutes écrites, on ferme les yeux trois secondes et puis on imagine des petites phrases amusantes. Et boum!»

Ce que vos nouvelles ont en commun, on peut dire que ce sont des personnages qui cherchent à améliorer leur vie?

«Il y en a un paquet. (Il feuillette la table des matières, N.D.L.R.) Mais oui, on peut dire que ce sont tous des gens qui cherchent à améliorer leur vie.»

Et vous, votre vie pourrait être améliorée? Comment?

«Ah oui! Si je gagnais plus d’argent avec les livres ou les scénarios, je devrais moins travailler à toutes sortes de commandes auxquelles je me plie maintenant, qui sont toujours chouettes, mais qui me demandent pas mal de trucs. Et puis je serais moins stressé avec les factures à la fin des vacances… Donc, c’est très terre à terre comme réponse, mais je dirais plus d’argent.»

C’est la vie d’humains, mais aussi d’animaux. Furet, gambas… Les animaux vous inspirent? Vous en avez?

«J’ai un chat, qui est très gentil. J’aime beaucoup les animaux, cela m’inspire à mort! J’adorerais avoir une grande maison pour avoir un chien. L’expression de la vie à travers les animaux est intéressante. C’est un peu un miroir.»

Pour la nouvelle «Le petit Prince», vous pensiez à quelqu’un en particulier?

«Non. J’aime bien parler de la déglingue de la Belgique. C’est un des aspects qui me plaît le plus, que je trouve à la fois drôle et très porteur d’énergie. Je trouvais que ‘Le Petit Prince’ incarnait la déglingue complète, avec une Belgique fichue, une famille royale fichue…»

C’est votre Bye bye Belgium à vous?

«Non, parce que le scénario de Bye Bye Belgium est infiniment plus réaliste que ce que j’ai fait et donc infiniment plus triste donc. On coupe en deux et puis c’est fini. J’aime bien l’idée que cela puisse péter monstrueusement à un moment.»

Le futur de la Belgique, vous le voyez comment?

«À la Bye Bye Belgium, malheureusement.»

Votre inspiration, elle vous vient d’où?

«D’un travail acharné!»

Les nouvelles, c’est votre genre de prédilection?

«Ça l’a été. C’est vrai que c’est un format dans lequel je me sens très à l’aise. Maintenant, ce n’est peut-être pas le format qui m’excite le plus pour l’instant. J’aime bien l’idée des longs trucs. Des longs romans ou des longs-métrages.»

Les «happy end», vous n’aimez pas?

«Si, si. Mais cela, vous ne le savez pas encore parce que vous n’avez pas lu ce qui va arriver.»

Vous travaillez sur quoi actuellement?

«Je bosse sur plusieurs histoires d’amour! Si, si! Là, je termine un scénario de long-métrage qui est un film d’amour. Des gens tombent amoureux et puis ils ont du mal parce que c’est toujours comme cela les histoires d’amour. Ce scénario m’a pris quand même une grosse année de boulot pendant laquelle j’ai un petit peu laissé tomber un roman, que j’ai repris cet été.»

Christelle

L’HISTOIRE EN QUELQUES LIGNESGunzig

Sous des titres culinaires comme «Amuse-bouches et pâté de lièvre», «Viande d’objet», «Les sandwichs mous», «Les cornichons» ou encore «L’eau salée», Thomas Gunzig dresse une série de portraits de personnages qui tentent -parfois en vain- d’améliorer leur quotidien. Au menu, vingt-sept petites histoires savoureuses, truculentes, souvent aussi désopilentes. Et si elles ne se terminent pas toujours bien pour les personnages, elle ont au moins le mérite de nous faire, nous, passer un bon moment!

«Assortiment pour une vie meilleure, Carbowaterstoemp et autres spécialités», de Thomas Gunzig, éditions au diable Vauvert, 504 pages, 22 €

Cote: 3/5

Voyage amoureux

Amélie Nothomb voyage d hiverAvec 18 rentrées littéraires à son actif, Amélie Nothomb est une habituée! Son petit dernier -c’est le cas de le dire puisque son nouveau roman ne fait que 130 pages cette année- s’intitule «Voyage d’hiver». Comme l’œuvre de Schubert bien sûr, mais aussi comme un voyage amoureux.

Ce titre, «Voyage d’hiver»: vous êtes fan de Schubert?
«Oh oui! C’est de très loin mon compositeur préféré, toutes catégories confondues.»

Comment vous est venue l’idée du livre?
«Cela m’est venu à l’aéroport de Moscou. C’était en février 2008. Je venais de passer par le portail de sécurité et une fois de plus, je venais de faire sonner le bip. Sauf qu’à l’aéroport de Moscou, la fouille est assez musclée. Cela m’a beaucoup énervée. Suite à cela, je me suis dit: ‘Et si je passais à l’acte?’ C’était bien sûr une pensée complètement folle que je n’ai pas imaginé un instant à accomplir pour de vrai, mais dans le roman, je laisse libre cours à cette furie.»

Votre inspiration en général, vous la trouvez où?
«Je la trouve partout. Là, je l’ai trouvée dans un énervement, mais ce n’est pas rare. Le ‘Cosmétique de l’ennemi’ m’était venu aussi d’une grande colère. Un roman peut naître de beaucoup de circonstances de la vie. Aussi bien un éclat de rire, qu’un coup de colère, un long moment d’ennui. Tout peut être fécond.»

Ce n’est pas une autobiographie comme d’autres de vos précédents livres, mais vous avez mis un peu de vous quand même?
«Oui, forcément. Les trois principaux personnages comportent des bribes de moi, surtout bien sûr la romancière, mais les deux autres aussi. Dans le passé du narrateur, il y a des choses qu’on retrouve dans ma vie, comme le fait qu’à 15 ans, il ait eu le désir de retranscrire en entier l’Illiade et l’Odyssée, cela, c’est une chose qui m’est arrivée aussi.»

Votre personnage dit qu’il n’y a pas d’échec amoureux. C’est un sentiment que vous partagez avec lui?
«Complètement. Comprenons-nous bien. On prend la chose au sens le plus large qui soit. Le simple fait d’éprouver de l’amour, même si c’est un amour déçu, est tellement sublime, qu’on pense que cela ne peut être vu comme un échec.»

Votre personnage a une façon bien étrange de déclarer son amour…
«À tous points de vue, mon personnage ne se conduit pas comme il faut! Il est un peu dans tous les domaines un exemple de ce qu’il ne faut pas faire!»

Le sujet du livre est une histoire d’amour. L’amour c’est un sujet qui vous inspire ces dernières années…
«Oui, c’est le sujet par excellence. Le livre s’appelle ‘Le voyage d’hiver’. Il est donc question d’un voyage. Je pense que rien aujourd’hui ne correspond aussi bien à la définition d’un voyage que l’amour. Le vrai voyage, au sens métaphysique du terme, c’est un déplacement dont on ignore la destination. Or, quand on voit les voyages tels qu’on les pratique aujourd’hui, cela ne se fait plus du tout comme cela. On sait toujours où l’on va et quand on reviendra. Donc finalement, les derniers voyages aujourd’hui, c’est l’amour, parce qu’on ne connaît pas la destination.»

Cette fois encore, vos héros ont des prénoms originaux…
«Oui, c’est vrai, ils ont comme toujours des prénoms à coucher dehors! Ici, c’était très important pour moi de mettre en scène l’écartèlement entre la lettre A et la lettre Z. Tous mes personnages sont des illustrations de cet écartèlement.»

La tour Eiffel symbolise vraiment un A en hommage à une Amélie dont Gustave Eiffel était épris?
«Je n’en ai jamais eu la confirmation. C’est une chose que quelqu’un m’a garantie au cours d’une soirée parisienne. Je ne sais pas si c’était parce qu’il était ivre. Je pense que je n’aurai jamais le fin mot de l’affaire, mais je trouve que c’est une belle histoire.»

Quel est votre monument préféré à Paris?
«C’est la tour Eiffel!»

Sans tout dévoiler, un attentat par amour plutôt que pour une religion, c’est une première, non?
«Et j’espère que ce ne sera jamais accompli. Je comprends le délire qui s’empare de lui, mais en même temps, je trouve que c’est vraiment la pire chose à faire. Surtout qu’on ne considère pas cela comme un manuel de bonne conduite amoureuse de ma part. Au contraire, c’est plutôt un manuel de tout ce qu’il ne faut pas faire!»

Le baiser de la mort prend tout son sens dans votre livre…
«Oui, surtout le baiser dont nous ne dévoilerons pas la nature. Mais le baiser ultime, celui qu’il espère atteindre après la dernière page du livre, ce serait en effet le baiser de la mort.»

Chaque année votre photo est réalisée par de grands photographes. Cette année, ce sont les studios Harcourt. C’était comment poser pour le célèbre studio?
«C’était très, très bien. Je dois dire que j’ai une très belle expérience des photographes parce que chaque année mon éditeur m’organise des séances de poses avec de grands photographes. Avec Harcourt, j’ai été très frappée par la politesse de tout le monde. Ce n’est pas le cas de tous les photographes. Là vraiment, c’étaient des gens extrêmement bien élevés. Il n’y avait pas de familiarité excessive. Très respectueux. J’ai beaucoup aimé cela.»

Dans votre livre, votre personnage dit pourtant ne pas aimer que la bobine de l’auteur apparaisse sur le livre. Votre photo à vous apparaît pourtant sur la couverture même.
«J’adore me fiche de moi-même!»

C’est un message que vous essayez de faire passer à votre éditeur?
«Non, c’est simplement je me fiche de moi, j’adore cela! C’est mon petit plaisir!»

Vous aimez les champignons?
«Je jette un voile pudique sur cette question puisque nous entrons là dans l’illégalité… Il y a une pratique littéraire intense de certaines substances hallucinogènes et beaucoup d’écrivains en ont déjà parlé. Mon livre de référence en la matière, c’est un livre d’Aldous Huxley qui s’appelle ‘Les portes de la perception’ et qui est un des plus beaux livres qui soit.»

C’est votre 18e rentrée littéraire. Ça vous fait quoi?
«De plus en plus peur. Je ne m’y habitue pas, au contraire!»

Et vous, y a-t-il un auteur dont vous ne rateriez la sortie du livre sous aucun prétexte?
«Il y en a quelques-uns. Haruki Murakami, Sinon Leys,,..»

Votre livre fait 130 pages, c’est un bébé particulièrement petit cette année.
«Oui, j’en ai déjà eu de ce volume-là, même des plus petits, mais là, vu la nature du texte qui est une confession censée être écrite en quatre heures, cela ne pouvait pas être plus long que cela.»

L’histoire en quelques lignes
Comme tous les ans, le quatrième de couverture du dernier né d’Amélie Nothomb est plutôt avare en détail. Cette année n’échappe pas à la règle puisqu’il ne contient qu’une seule phrase destinée à aiguiser notre appétit littéraire: «Il n’y a pas d’échec amoureux»… Une affirmation à laquelle souscrit l’auteure, tout comme son personnage principal. Sans dévoiler toute l’intrigue si bien préservée, on dira donc que l’histoire débute dans un aéroport où le narrateur fait sonner, comme à son habitude, le portique de sécurité… Si le titre ne ment pas -il est en tout cas bien question de voyage dans toutes ses formes-, ce dernier est aussi amoureux. Comme pour son précédent roman, on dira que l’idée est bien trouvée, la narration bien orchestrée et les personnages tous hors du commun. Mais comme pour le précédent aussi, un seul regret: dommage qu’il soit si court! En réduisant la taille des caractères, l’histoire aurait pu tenir sous forme de nouvelle et on ne la termine en effet pas complètement rassasié.

Christelle

«Le voyage d’hiver», d’Amélie Nothomb, éditions Albin Michel, 130 pages

Cote: 3/5

Un roman plein de délicatesse

foenkinosComme l’indique le titre d’emblée, le huitième roman de David Foenkinos -à qui l’on doit notamment «Le potentiel érotique de ma femme» et «La séparation»- est empreint de délicatesse. Son héroïne, Nathalie, «à la féminité suisse» selon les dires de l’auteur, file le parfait amour avec son mari, jusqu’à la mort tragique de celui-ci, dont elle mettra du temps à se remettre. Et puis un beau jour, un homme pourtant insignifiant, Suédois mais avec un petit côté «pays de l’Est», passe par là et elle l’embrasse sans réfléchir! Une histoire tendre et attendrissante racontée par un auteur doué pour saisir la magie de chaque instant. Il y est question d’amour, d’un gars au physique plutôt désagréable mais attachant, d’un autre sûr de lui mais méprisable… sans oublier de meubles Ikea et de petits pains Krisprolls. Les chapitres sont courts, alternant les formes et le style. Quant au récit, il est pimenté de notes en bas de page et entrecoupé de petits interludes. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment les chansons qu’auraient pu écrire John Lennon s’il n’était pas mort en 1980, tout le mal que pense l’auteur de l’invention de la moquette qui tue le bruit sensuel des talons aiguilles, le fameux dossier 114, les ingrédients du risotto aux asperges, le nombre de langues -dont le suédois- dans lesquelles on peut lire La Modification de Michel Butor Prix Renaudot 1957 et bien sûr la définition donnée par Le petit Larousse de la délicatesse. Un vrai petit bonheur. Assurément l’un des coups de cœur de cette rentrée. 

Christelle

 «La délicatesse», de David Foenkinos, éditions Gallimard, 208 pages, 16 €

Cote: 4/5