Après l’Art Nouveau et l’Art déco, c’est au tour de la Jonction Nord-Midi d’inspirer un polar à la Bruxelloise Kate Milie. Son héroïne, une jeune guide pétillante, nous emmène sur les traces de cette jonction controversée et entourée aujourd’hui encore de bien des mystères.
Notre patrimoine vous passionne dirait-on…
«En effet, ma passion pour le patrimoine et l’architecture est insatiable. Je suis passée de lieux glamour à la Jonction Nord-Midi, symbole de destruction urbanistique. Ceci dit, si l’année 1952 est la date de l’inauguration de la Jonction, on pense à cette liaison depuis l’année 1840. Je me suis offert l’immense plaisir de remonter dans le temps.»
Comment vous est venu ce thème?
«Je ne sais pas. Je me souviens très bien comment mon précédent roman ‘L’assassin aime l’Art Déco’ est venu à moi. Par contre, aucun souvenir précis concernant ‘Noire Jonction’! En 2011, j’ai mené un projet consacré à l’écrivain Primo Levi. J’ai eu pas mal de contact avec la Fondation Auschwitz qui se situe rue des Tanneurs. La Jonction traverse cette rue, la surplombe, la domine, l’a éventrée… Ce quartier finit en une espèce de ‘no man’s land’. Je crois qu’inconsciemment j’ai dû me laisser envahir par quelque chose… Puis, j’ai eu envie d’écrire sur les Marolles. Retour rue des Tanneurs, j’ai voulu photographier les sgraffites du Palais du Vin… J’ai photographié les trains…»
Vous faites même un clin d’œil aux lecteurs de Metro et des Kiss & Ride…
«Je suis une fidèle lectrice de Metro. Concernant Kiss & Ride, cette rubrique sympa m’amuse. Certaines annonces sont bien écrites. Il n’est pas impossible -si je continue ma série- que Marie, ma guide, reçoive une déclaration d’amour enflammée via votre journal. (Rires).»
Prenez-vous souvent le train?
«Enormément. J’ai pas de bagnole. Dans une ancienne vie professionnelle, je sautais d’un train à l’autre. Les Thalys, les TGV n’ont plus aucun secret pour moi. J’ai des heures et des heures d’attente dans les gares à mon compteur. C’est peut-être parce que j’ai pas mal exploré les belles gares parisiennes, de vrais bijoux du 19e siècle que j’ai voulu faire revivre, à ma façon, les magnifiques gares bruxelloises détruites au nom de la modernité et de la spéculation.»
Et l’ange de la couverture?
«Un ange sur un peep show! Tous les voyageurs qui transitent via la gare du Nord la connaissent. Cette statue est fascinante! Est-elle la gardienne de la Jonction? Ou des filles exploitées dans les bars? Elle a été en quelque sorte mon fil rouge. Gunnar Berg, l’auteur de mon roman venu à Bruxelles pour écrire sur la Jonction, sera envoûté par elle!»
On retrouve aussi Marie de votre précédent polar.
«En effet, le sujet était difficile, il me fallait une jeune guide dynamique, efficace pour mener à bien le projet. Marie a beaucoup évolué depuis ‘L’assassin aime l’Art Déco’. Elle a créé sa petite affaire, mène sa vie tambour battant. Le Collectif Art/Jonction qui organise des activités culturelles pour repenser la ville a fait appel à elle. Des Marolles à la sulfureuse rue d’Aerschot, j’ai eu un plaisir fou à la suivre.»
Et vous êtes cette fois encore un personnage du livre! Dans la vraie vie, vos personnages vous harcèlent aussi ou bien ils vous laissent un peu de répit.
«Je n’apparais que quelques lignes à l’hôtel Méridien! (rires)… Quand je suis en écriture, la fusion avec mes personnages est totale. Mais je ne me sens pas particulièrement harcelée… Je me sens davantage «hantée» par les phrases qui se débinent, les mots qui me tirent la langue et les idées qui partent en vadrouille.»
Vous avez fait beaucoup de recherches?
«Enormément. Je ne connaissais pas grand-chose au sujet. L’histoire de la Jonction est hallucinante. C’est en 1903 que les accords sont signés pour la construction. Le temps d’obtenir l’accord pour exproprier les habitants, on est en 1910. Là, commence le carnage, la destruction de milliers d’habitations. Les travaux étaient prévus pour une durée de cinq ans (selon les optimistes). 1914, la guerre éclate, tout s’arrête. En 1918, on a autre à chose à faire qu’à penser à cette Jonction. Les travaux reprennent en 1935. La crise économique est violente, pour résorber le chômage, on pense à de grands travaux… Quand ceux-ci seront terminés dans les années 50, on construira les immeubles surplombant le tunnel dans le style international de l’époque, les nouvelles constructions ont été pensées pour la bureaucratie et non pour l’habitat…»
Vous vous êtes promenée aussi?
«Oui. Pendant une année, j’ai ai arpenté la Jonction dans tous les sens, à pied et en prenant tous les trains inimaginables, j’ai exploré les cinq gares, y ai pris des cafés, observé les passants. J’ai eu beaucoup de chance, au moment où je me suis mise à écrire, j’ai découvert le projet http://www.jonction.be (un signe!). Les asbl Recyclart et Congrès gèrent depuis deux années un programme de réflexion sur la Jonction. Pour mon plus grand plaisir, j’ai assisté à pas mal de conférences, participé à des activités.»
Vous connaissiez la fin de l’histoire en commençant?
«Non pas du tout. J’ai commencé à prendre pas mal de notes. J’ai commencé des débuts de chapitre. Et puis, je me suis mise à traquer les personnages. Je les ai suivis sur les quais des gares, dans les couloirs, les halls de gare… Bart est un beau jeune homme que j’ai croisé, par hasard, à plusieurs reprises dans un train… Le jour où il est devenu mon personnage de papier, il a disparu, je ne l’ai plus jamais revu…»
Quels lieux nous emmènerez-vous explorer dans votre prochain roman?
«Je suis très superstitieuse. J’ai pour habitude de ne pas trop parler des projets en cours. Tellement de choses peuvent se passer… Ceci dit, tiens, pourquoi un petit meurtre Galerie Ravenstein (où sont situés les bureaux de Metro, NDLR) (rires).»
Christelle
En quelques lignes
Engagée par un collectif Art/Jonction désireux de mener une réflexion sur la ville à travers des actions littéraires et artistiques, Marie, la jeune guide de son précédent polar «L’assassin aime l’Art Déco», se charge donc de balader de la gare du Midi à la gare du Nord et des Marolles à la rue d’Aerschot un petit groupe hétéroclite. Une Moeder Revolution octogénaire, une slameuse, deux jeunes artistes débutantes et un célèbre écrivain suédois, Gunnar Berg, en résidence chez nous afin d’écrire un polar sur le thème… Mais ce projet autour de la Jonction n’est pas du goût de tous. Des poupées sanguinolentes sont retrouvées dans des gares. Pire, l’une des participantes aux activités du collectif Art/Jonction est assassinée. En fil conducteur du livre, la statue de l’ange féminin à la longue robe moulante que l’on aperçoit d’ailleurs sur la couverture de l’ouvrage au-dessus d’un peep show. Comme dans «L’assassin aime l’Art Déco», l’auteure s’offre en outre une incursion dans son propre roman. Sans oublier le petit clin d’œil à Metro et à sa rubrique Kiss & Ride!
«Noire Jonction», de Kate Milie, 180° editions, 208 pages, 17 €